mercredi 29 novembre 2017

le NOTRE PERE: une autre façon de le traduire




Autre façon de comprendre le Notre Père

Combien cette demande faite au Père traduite par « ne nous soumets pas à la tentation » suscite de malaise auprès de nombreuses croyants !  Même si Dieu est éducateur, pourquoi nous “soumettrait-il à la tentation ” au risque de nous perdre ? Si encore Il permet que nous soyons tentés, comme l’a été son Fils, c’est  sans doute pour que nous puissions Lui manifester une plus grande confiance en Lui ; ou même, dans un élan de foi, Lui adresser un appel pressant à nous aider à résister. St Jacques dans sa lettre s’inscrit contre cette idée : Jc 1, 13 “Que nul, quand il est tenté, ne dise : « Ma tentation vient de Dieu  » car Dieu ne peut être tenté de faire le mal et ne tente personne.” Est-ce donc bien ce que Jésus a voulu dire ? Est-ce bien ce qui est écrit dans l’Evangile de Matthieu ?
En Mt 6, 13 il est écrit mot à mot : “et ne nous mène pas à tentation”. Faisons un peu d’analyse grammaticale ! Le verbe eisferw accompagné de la préposition “eiV” suivie de l’accusatif désigne la destination d’un lieu: peirasmon . Existe-t-il donc, dans la Bible, un lieu qui a pour nom tentation, épreuve, peirasmon ? Oui, en effet : en Exode 17, 7 : dans le désert de Réphidim où il n’y a pas d’eau pour le peuple et ses troupeaux. Sur l’ordre de Dieu, Moïse prepe le rocher et l’eau jaillit : “Il appela ce lieu du nom de Massa et Mériba – Epreuve ou Querelle- à cause de la querelle des fils d’Israël et parce qu’ils mirent le Seigneur à l’épreuve en disant : « Le Seigneur est-il au milieu de nous, oui ou non ? » Epreuve, c’est bien  le nom du lieu : Massa hsm en hébreu/araméen et peirasmoV en grec, dans la version des LXX. Il s’agit alors de Dieu qui est “tenté”, “mis à l’épreuve” par la défiance des fils d’Israël…Cette question sous forme de doute : « Dieu est-il avec nous, oui ou non ? » ne pointe-t-elle pas en nous lorsque nous traversons une épreuve particulièrement douloureuse ? « Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour qu’il m’arrive pareille chose ? ». N’est-elle pas, sous une autre forme, tellement répandue sur les lèvres ou dans l’esprit de tant d’hommes et de femmes, scandalisés du mal omniprésent dans le monde : « Si Dieu existait, Il ne permettrait pas tout çà ! ». Alors, la demande que Jésus nous fait formuler pourrait-être : “Ne nous conduis pas à te tenter, à te mettre au défi… (Sous-entendu, de montrer que tu es bien là) ”.  Jésus reprend en écho la recommandation du Psaume 95 (94), v.8 (que tous les prêtres et religieux du monde prient chaque matin en invitatoire de l’Office des Laudes) : “Ne durcissez pas votre cœur comme à Mériba, comme au jour de Massa dans le désert, où vos pères m’ont défié et mis à l’épreuve, alors qu’ils m’avaient vu à l’œuvre”.
Une autre raison me pousse à interpréter ce verset de cette façon. Je rejoins le commentaire du Saint Père Benoît XVI dans son livre « Jésus de Nazareth » pp.177-178 (Ed. Flammarion). Parmi les quatre demandes que Jésus nous fait formuler dans la deuxième partie du Notre Père, la première : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour » est écrite mot à mot : « notre pain supersubtanciel (epiousion) donnes-le nous aujourd’hui ». St Jérôme, traducteur de la Vulgate écrit : « Panem nostrum supersubstantialem da nobis hodie ». Quel est donc ce pain “ supersubstanciel », suressentiel ? Ne peut-on pas penser à un pain qui a nourri quotidiennement les fils d’Israël au désert, la Manne ? (Jn 6, 31-32)… Ne peut-on pas penser que Jésus désigne le Pain de Vie, son Corps ? (Jn 6, 35)… Vers l’an 200, Tertullien, père de l’Eglise,  dans son traité sur la prière, commentant le Notre Père, chapitre 6, écrit : “Après les choses du ciel, c’est à dire après le Nom de dieu, la Volonté de Dieu, le Règne de Dieu, viennent les nécessités de la terre, auxquelles le seigneur a voulu réserver une place…Toutefois, il convient peut-être davantage de donner un sens spirituel à ces paroles : Donnes-nous aujourd’hui notre pain quotidien. Car le Christ est notre pain : je suis le pain de vie, a-t-Il dit. D’ailleurs son corps est signifié par le pain : Ceci est mon corps”. St Cyprien, Origène confirmeront cette interprétation en faisant venir epiousion de epi , sur et ousia, essence, substance.
Prenons maintenant la quatrième demande du Notre Père : « mais délivre-nous du mal ». Elle est écrite mot à mot : “mais délivre-nous du malin”, or le malin, c’est dans l’Evangile, le diable, le Satan. Les chrétiens orthodoxes le prient d’ailleurs ainsi : « Délivre-nous du malin »

Reprenons donc ces trois demandes, dans l’ordre où Jésus les présente : ne vous font-elles pas penser à un autre triptyque que nous a présenté le même évangéliste, Matthieu ?
Les Tentations de Jésus, deux chapitres précédents : Mt 4, 1 !
A la première demande correspond la première tentation de faire des pierres du pain, tentation d’un acte magique que Jésus repousse en citant un verset de l’Ecriture : “Ce n’est pas de pain seul que vivra l’homme, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu” (Dt 8, 3) -Jésus, Parole de Dieu, Pain de Vie -> “Donne-nous aujourd’hui notre Pain de Vie” (ou “notre pain vital” ?)
A la deuxième demande correspond la deuxième tentation, celle de mettre Dieu à l’épreuve en détournant le sens d’un verset du Psaume 91 (90) v.12 que le diable cite à Jésus après l’avoir conduit au sommet du Temple et l’avoir invité à se jeter dans le  vide : “Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et sur leurs mains ils te porteront, de peur que tu ne heurtes du pied quelque pierre”. Que répond alors Jésus : “Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu » > “Ne nous conduis pas à te mettre à l’épreuve”.
Enfin, la troisième demande correspond à la troisième tentation, celle d’adorer celui qui détient mensongèrement la toute-puissance pour la partager avec lui. La réponse de Jésus est nette : “Retire-toi, Satan !” ->  “Délivre-nous du Malin”

Ainsi, dans cette traduction du Notre Père, nous aurions les “demandes-antidotes” aux trois tentations fondamentales expérimentées par Jésus Lui-même, auxquelles se relient à l’une ou l’autre nos propres tentations.
                  Il reste encore la demande de Jésus : « pardonne-nous nos offenses… ». Elle suit la demande du pain quotidien et semble se poursuivre par le verset 14 qui suit la finale du Notre Père : « En effet, si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera à vous aussi ; v.15 mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas vos fautes ». Cette demande de Jésus ne serait-elle pas mieux située en finale du Notre Père et avant ce “En effet” ?  Apparaîtraient ainsi, de façon plus nette, les trois demandes de Jésus correspondant aux trois tentations. Je formule l’hypothèse que si le « pardonne-nous nos offenses… » a été mis à la suite de la demande du pain quotidien, c’est peut-être parce l’évangéliste a pensé à la recommandation de Jésus au chapitre précédent, Mt 5,v.23-24 « Quand donc tu présentes ton offrande à l'autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère; puis reviens, et alors présente ton offrande.”

NOTRE PERE, selon la traduction de Didier ERASME, (1469-1536).Colloque Erasmien de Liège 1987.
Notre Père,
Toi le Très Haut.
Que Ton Nom soit sanctifié,
Que soit manifesté Ton Règne,
Que s’accomplisse Ta volonté
Sur la terre comme au ciel.
Nourris-nous aujourd’hui du Pain du Salut.
Accorde-nous Ton pardon,
A nous qui partageons Ta miséricorde.
Ne nous laisse pas Te provoquer,
Mais délivre-nous du Tentateur.

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