Autre façon de comprendre le Notre Père
Combien
cette demande faite au Père traduite par « ne nous soumets pas à la
tentation » suscite de malaise auprès de nombreuses croyants ! Même si Dieu est éducateur, pourquoi nous “soumettrait-il
à la tentation ” au risque de nous perdre ? Si encore Il permet que nous
soyons tentés, comme l’a été son Fils, c’est
sans doute pour que nous puissions Lui manifester une plus grande
confiance en Lui ; ou même, dans un élan de foi, Lui adresser un appel
pressant à nous aider à résister. St Jacques dans sa lettre s’inscrit contre
cette idée : Jc 1, 13 “Que nul, quand il est tenté, ne dise : « Ma
tentation vient de Dieu » car Dieu ne peut être tenté de faire le mal et
ne tente personne.” Est-ce donc bien ce que Jésus a voulu dire ?
Est-ce bien ce qui est écrit dans l’Evangile de Matthieu ?
En
Mt 6, 13 il est écrit mot à
mot : “et ne nous mène pas à
tentation”. Faisons un peu d’analyse grammaticale ! Le verbe eisferw accompagné de la préposition “eiV”
suivie de l’accusatif désigne la
destination d’un lieu: peirasmon .
Existe-t-il donc, dans la Bible, un lieu qui a
pour nom tentation, épreuve, peirasmon ? Oui, en
effet : en Exode 17, 7 : dans le désert de Réphidim où il n’y a
pas d’eau pour le peuple et ses troupeaux. Sur l’ordre de Dieu, Moïse prepe le
rocher et l’eau jaillit : “Il appela ce lieu du nom de Massa et Mériba
– Epreuve ou Querelle- à cause de la querelle des fils d’Israël et parce qu’ils
mirent le Seigneur à l’épreuve en disant : « Le Seigneur est-il au
milieu de nous, oui ou non ? » Epreuve, c’est bien le nom du lieu : Massa hsm en hébreu/araméen et peirasmoV en grec, dans la version des
LXX. Il s’agit alors de Dieu qui est
“tenté”, “mis à l’épreuve” par la défiance des fils d’Israël…Cette question
sous forme de doute : « Dieu
est-il avec nous, oui ou non ? » ne pointe-t-elle pas en nous
lorsque nous traversons une épreuve particulièrement douloureuse ? « Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu
pour qu’il m’arrive pareille chose ? ». N’est-elle pas, sous une
autre forme, tellement répandue sur les lèvres ou dans l’esprit de tant
d’hommes et de femmes, scandalisés du mal omniprésent dans le monde : « Si Dieu existait, Il ne permettrait
pas tout çà ! ». Alors, la demande que Jésus nous fait formuler
pourrait-être : “Ne nous conduis
pas à te tenter, à te mettre au défi… (Sous-entendu, de montrer que tu es
bien là) ”. Jésus reprend en écho la
recommandation du Psaume 95 (94), v.8 (que tous les prêtres et religieux du
monde prient chaque matin en invitatoire de l’Office des Laudes) : “Ne durcissez pas votre cœur comme à Mériba,
comme au jour de Massa dans le
désert, où vos pères m’ont défié et mis
à l’épreuve, alors qu’ils m’avaient vu à l’œuvre”.
Une
autre raison me pousse à interpréter ce verset de cette façon. Je rejoins le
commentaire du Saint Père Benoît XVI dans son livre « Jésus de
Nazareth » pp.177-178 (Ed. Flammarion).
Parmi les quatre demandes que Jésus nous fait formuler dans la deuxième
partie du Notre Père, la première : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de
ce jour » est écrite mot à mot : « notre pain supersubtanciel (epiousion) donnes-le
nous aujourd’hui ». St Jérôme, traducteur
de la Vulgate écrit : « Panem nostrum supersubstantialem da nobis hodie ». Quel est donc ce pain
“ supersubstanciel », suressentiel ? Ne peut-on pas penser à un
pain qui a nourri quotidiennement les fils d’Israël au désert, la Manne ?
(Jn 6, 31-32)… Ne peut-on pas penser que Jésus désigne le Pain de Vie, son
Corps ? (Jn 6, 35)… Vers l’an 200, Tertullien, père de
l’Eglise, dans son traité sur la prière,
commentant le Notre Père, chapitre 6, écrit : “Après les choses du ciel, c’est à dire après le Nom de dieu, la
Volonté de Dieu, le Règne de Dieu, viennent les nécessités de la terre,
auxquelles le seigneur a voulu réserver une place…Toutefois, il convient peut-être davantage de donner un sens spirituel
à ces paroles : Donnes-nous aujourd’hui notre pain quotidien. Car le
Christ est notre pain : je suis le
pain de vie, a-t-Il dit. D’ailleurs son corps est signifié par le
pain : Ceci est mon corps”. St
Cyprien, Origène
confirmeront cette interprétation en faisant venir epiousion de epi , sur et ousia, essence, substance.
Prenons
maintenant la quatrième demande du Notre Père : « mais délivre-nous du mal ». Elle est écrite mot à
mot : “mais délivre-nous du malin”,
or le malin, c’est dans l’Evangile, le diable,
le Satan. Les chrétiens
orthodoxes le prient d’ailleurs ainsi : « Délivre-nous du
malin »
Reprenons
donc ces trois demandes, dans l’ordre où Jésus les présente : ne vous
font-elles pas penser à un autre triptyque que nous a présenté le même
évangéliste, Matthieu ?
Les Tentations de Jésus,
deux chapitres précédents : Mt 4, 1 !
A
la première demande correspond la première tentation de faire des pierres du
pain, tentation d’un acte magique que Jésus repousse en citant un verset de
l’Ecriture : “Ce n’est pas de pain
seul que vivra l’homme, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu” (Dt 8, 3) -Jésus, Parole de Dieu, Pain de Vie -> “Donne-nous
aujourd’hui notre Pain de Vie” (ou “notre pain vital” ?)
A
la deuxième demande correspond la deuxième tentation, celle de mettre Dieu à l’épreuve en détournant
le sens d’un verset du Psaume 91 (90) v.12 que le diable cite à Jésus après
l’avoir conduit au sommet du Temple et l’avoir invité à se jeter dans le vide : “Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et sur leurs mains ils te
porteront, de peur que tu ne heurtes du pied quelque pierre”. Que répond
alors Jésus : “Tu ne tenteras
pas le Seigneur ton Dieu » > “Ne nous conduis pas à te mettre à l’épreuve”.
Enfin,
la troisième demande correspond à la troisième tentation, celle d’adorer celui
qui détient mensongèrement la toute-puissance pour la partager avec lui. La
réponse de Jésus est nette : “Retire-toi,
Satan !” -> “Délivre-nous du
Malin”
Ainsi, dans
cette traduction du Notre Père, nous aurions les “demandes-antidotes” aux trois tentations fondamentales
expérimentées par Jésus Lui-même, auxquelles se relient à l’une ou l’autre nos
propres tentations.
Il reste
encore la demande de Jésus : « pardonne-nous
nos offenses… ». Elle suit la demande du pain quotidien et semble
se poursuivre par le verset 14 qui suit la finale du Notre Père : « En effet, si vous pardonnez
aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera à vous aussi ;
v.15 mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous
pardonnera pas vos fautes ». Cette demande de Jésus ne serait-elle pas
mieux située en finale du Notre Père et avant ce “En effet” ? Apparaîtraient ainsi, de façon plus nette,
les trois demandes de Jésus correspondant aux trois tentations. Je formule
l’hypothèse que si le « pardonne-nous
nos offenses… » a été mis à la
suite de la demande du pain
quotidien, c’est peut-être parce l’évangéliste a pensé à la recommandation de
Jésus au chapitre précédent, Mt 5,v.23-24 « Quand donc tu présentes ton
offrande à l'autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre
toi, laisse là ton offrande, devant l'autel, et va d'abord te réconcilier
avec ton frère; puis reviens, et alors présente ton offrande.”
NOTRE PERE, selon la traduction de Didier ERASME, (1469-1536).Colloque Erasmien de Liège 1987.
Notre
Père,
Toi
le Très Haut.
Que
Ton Nom soit sanctifié,
Que
soit manifesté Ton Règne,
Que
s’accomplisse Ta volonté
Sur
la terre comme au ciel.
Nourris-nous
aujourd’hui du Pain du Salut.
Accorde-nous
Ton pardon,
A
nous qui partageons Ta miséricorde.
Ne
nous laisse pas Te provoquer,
Mais
délivre-nous du Tentateur.