HOMELIE 7ème Dimanche Ordinaire A. Mt 5, 38-48
23 Février 2014
Mt 5,39 Mais moi, je vous dis de ne pas
résister au méchant. Si quelqu'un
te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l'autre” “Si vous
enseignez cela à mon gamin, je le retire du catéchisme” nous dit un jour
une maman au cours d’une réunion de parents d’enfants de CE2 dont le thème de
la leçon était : “Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés”. C’était
la première fois que je me trouvais devant une attitude de refus catégorique
qui pouvait être lourd de conséquences pour l’enfant et sa famille…et peut-être
aussi pour les autres parents. Mais au fond de moi-même, je rejoignais cette
“rébellion”, car ce que demandait Jésus relevait de l’héroïsme avec une pointe
de soumission, voire de lâcheté, que la maman avait exprimé, comme pour
s’excuser : “Je ne veux pas que mon
fils devienne une carpette !”
Je
connaissais les interprétations qu’en donnaient les grands spirituels, voulant
exprimer à quel degré d’amour le disciple du Christ devait s’élever (ou
s’abaisser ?) pour faire comprendre à son agresseur qu’il n’avait aucune
haine envers lui, mais seulement de l’amour, qui excluait toute forme de
violence ; je connaissais le style imagé, oriental de Jésus, qu’il ne faut
pas prendre au pied de la lettre ; je connaissais le commentaire des
exégètes qui disaient que lorsque quelqu’un prononçait un blasphème, il était
giflé sur la joue droite : il fallait donc que les premiers chrétiens, qui
proclamaient que Jésus était Dieu, s’attendent à être giflé ainsi et même,
qu’ils maintiennent leur affirmation en tendant l’autre joue… Ou même,
l’interprétation cocasse d’Origène, Père de l’Eglise, qui observait finement
que pour frapper quelqu’un sur la joue droite, il fallait être gaucher, et donc
qu’il n’y avait pas beaucoup de chance que l’on puisse mettre la parole à
exécution ! Mais comment expliquer tout cela à cette maman ? Après un
court temps de silence pour accueillir cette question et demander au Seigneur
de m’inspirer, il me vint à l’esprit de partir du thème de la leçon : “Aimez-vous
les uns les autres comme je vous ai
aimés”. Je lui répondis ainsi :
“Lorsque
Jésus demande quelque chose à ses disciples, il est en général le premier à le
faire. Aimez vos ennemis : c’est ce qu’Il fait envers ses bourreaux. Par
contre, lors de sa Passion, le serviteur du grand prêtre le gifle en lui
disant : “ Est-ce ainsi que tu réponds au souverain prêtre?” Que
fait alors Jésus ? Présente-t-Il l’autre joue ? Non ! Mais Il
s’adresse à lui en disant : “Si j'ai
mal parlé, fais voir ce que j'ai dit de mal; et si j'ai bien parlé, pourquoi me
frappes-tu? ” Jn 18,
22-23. Je crois que vous pouvez laisser votre enfant au catéchisme, mais en
lui apprenant à prendre de la distance face à son agresseur (très dur ! je
le sais) et en essayant d’aimer comme le
Christ qui a aimé ce serviteur. Comment ? Il a “mis son agresseur en responsabilité” : lui qui s’est
laissé emporté par un zèle mal placé, plein de haine et qui l’avilit : “Justifie
ton geste ” semble lui dire Jésus ! “ Sois responsable et tu
éviteras de te mettre dans cet état-là”.
Un peu plus tard, en lisant le livre de Marie Balmary, “Le
sacrifice interdit” (Edition Grasset), je suis tombé sur le passage qui aborde
ce texte, pp.186-187. Il est interprété par cette psychanalyste qui connaît
également l’hébreu et le grec. A ma grande surprise, elle révèle le non-respect
de la signification du terme “autre” qui
est utilisé dans le texte grec. Le grec dispose de deux termes pour exprimer autre : “L’un, l’autre” dans une relation duelle, par exemple : “Nul ne
peut servir deux maîtres. Car, ou il haïra l'un, et aimera l'autre; (étéron) ou il s'attachera à l'un, et méprisera l'autre. (étérou) Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon”. Mt 6, 24. C’est ce que
nous devrions avoir ici : la joue droite, l’autre (étéren). Or nous avons “allen”,
qui est l’autre terme pour dire autre,
mais au sens de différent, autrement,
en somme l’altérité. Il faudrait
alors traduire la parole de Jésus de la façon suivante : “Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui autre chose” Autrement
dit : présente-lui une alternative, avec le but de le
faire sortir de sa violence en le
“responsabilisant”. N’est-ce pas exactement ce qu’a fait Jésus envers le serviteur du grand prêtre ? Cette interprétation n’exclut pas les
autres plus traditionnelles, exégétiques ou mystiques, qui partent de points de
vue différents et qui peuvent enrichir, à leur façon, notre accueil de la
Parole de Dieu. Mais je pense qu’il est bon de proposer aussi celle-ci, qui a
le mérite de respecter l’ensemble des Evangiles en se fixant sur son modèle, Jésus-Christ, et en évitant les
fausses pistes du jeu pervers de la violence : Jésus, qui est le “Chemin
et la Vérité et la Vie”, enseigne une autre
voie qui fait grandir parce qu’elle appelle à la responsabilité. AMEN !
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