Au sujet du projet de loi du mariage pour tous:
EXTRAIT
du DISCOURS D’OUVERTURE
de
Mgr . André VINGT-TROIS à l’Assemblée des Evêques de France, Lourdes 3
Novembre 2012
……
3. La loi républicaine.
La crise économique atteint de plus en plus l’ensemble de notre
société. Des entreprises ferment et la précarité s’étend. Des actes de violence barbares heureusement isolés, montrent l’extrême
fragilité de notre tissu
social et le désarroi de
nombreuses familles qui ont besoin d’être soutenues et confortées dans leur mission éducative.
C’est dans ce contexte préoccupant que le gouvernement fait passer
en urgence des mutations profondes de notre législation qui pourraient transformer radicalement les modalités des
relations fondatrices de notre société.
Des changements de cette ampleur imposaient un large débat national qui ne se contente pas d’enregistrer des
sondages aléatoires ou la
pression ostentatoire de
quelques lobbies. Nous aurions été heureux, comme dans d’autres occasions, notamment pour les lois de bio
éthique,
d’apporter notre contribution
à ce débat. L’élection présidentielle et les élections législatives ne constituent pas un blanc-seing
automatique, surtout
pour des réformes qui touchent
très profondément les équilibres de notre société. Puisque ce débat n’a pas encore été organisé, nous voulons
du moins exprimer un certain nombre de convictions et
alerter nos concitoyens
sur la gravité de l’enjeu.
Contrairement à ce que l’on nous présente, le projet législatif concernant le mariage n’est pas simplement une ouverture généreuse
du mariage à de nouvelles catégories de concitoyens,
c’est une transformation
du mariage qui toucherait tout
le monde. Ce ne serait pas le « mariage pour tous » (étrange formule qu’il ne faut sans doute pas prendre au
pied de la
lettre !). Ce serait le
mariage de quelques-uns imposé à tous. Les conséquences qui en découlent pour
l’état civil en sont suffisamment éloquentes : a-t-on demandé aux citoyens s’ils étaient d’accord
pour ne plus
être le père ou la mère de
leur enfant et ne devenir qu’un parent indifférencié : parent A ou parent B ? La question fondamentale
est celle du
respect de la réalité sexuée
de l’existence humaine et de sa gestion par la société. Alors que l’on prescrit la parité stricte dans de
nombreux domaines
de la vie sociale, imposer,
dans le mariage et la famille où la parité est nécessaire et constitutive, une vision de l’être humain sans
reconnaître la
différence sexuelle serait une
supercherie qui ébranlerait un des
fondements de notre société et instaurerait une discrimination
entre les enfants.
Que pouvons-nous faire ? Face à ces mesures qui menacent notre
société, que pouvons-nous faire ? Que devons-nous faire ? Nous devons d’abord inviter à prier puisqu’il s’agit de
provoquer et soutenir la liberté de conscience de chacun. Comme pasteurs de notre Église, il nous
incombe
d’éclairer les consciences, de
dissiper les confusions, de formuler le plus clairement possible les enjeux. Comme évêques, nous nous efforçons
d’être
des interlocuteurs pour les
responsables politiques et les parlementaires.
Nous n’hésitons pas à faire appel à leur liberté de conscience
pour des projets et des votes qui engagent plus qu’une simple alternance
politique. Nous en appelons à leur sens du bien commun qui ne se réduit pas à
la somme des intérêts particuliers. Nous
continuons d’appeler les chrétiens, et tous ceux qui partagent notre analyse et nos questions, à saisir
leurs élus en leur écrivant des lettres personnelles, en les rencontrant et en
leur exprimant leurs convictions. Comme citoyens, ils peuvent, et peut-être
doivent, utiliser les moyens d’expression qui sont ceux d’une société
démocratique, d’une « démocratie participative », pour faire connaître et
entendre leur point de vue. Les sites de la conférence épiscopale et ceux de
nos diocèses présentent toutes sortes d’arguments qui sont finalement assez
connus. Une chose doit être claire : nous ne sommes pas dans une défense de je
ne sais quels privilèges
confessionnels. Nous parlons pour ce que nous estimons le bien de
tous. C’est pourquoi nous ne mettons pas
en avant la question du sacrement de mariage qui est une vocation particulière,
mais la fonction sociale du mariage qui ne dépend d’aucune religion.
Notre société est très sensible et vigilante sur le
respect dû aux enfants. Elle attend de ses responsables qu’ils prennent la
défense des plus faibles et qu’elle les protège. C’est pourquoi, dans cette
période il est important de rappeler un certain nombre de droits fondamentaux,
qui sont le fruit de la sagesse cumulée de notre civilisation et qui ont marqué
sa sortie progressive de la barbarie. Chacun des droits et des impératifs éthiques qui en découle et que nous énonçons
ici s’impose à la conscience morale des hommes, quelle que soit leur croyance
religieuse ou leur
incroyance. Aucune règle, et a fortiori aucune loi, ne pourra
jamais nous décharger de notre responsabilité personnelle et des enjeux de
notre liberté.
1/ Aucun être humain n’a le pouvoir de disposer de la vie de son semblable, à quelque stade que ce soit de son développement ou de
son
itinéraire et quels que soient
les handicaps dont il peut être frappé ou la détérioration de son état de santé. Chacun de nous est responsable
du respect de cet interdit absolu du meurtre et notre
société doit s’employer à
éliminer les manquements à
cette obligation. Dès lors que le respect absolu de la vie humaine ne serait
plus la règle défendue par la société, les
individus entreraient dans une dynamique de suspicion et
d’angoisse. Qui va décider si et jusqu’à quand je peux vivre, jusqu’à quel
seuil de handicap, quel seuil de douleur, quel seuil de gêne pour les autres,
quel coût pour la société ?
2/ Tout être humain conçu a le droit de vivre à quelque moment que
ce soit de son développement. Celui et celle qui l’ont appelé à la
vie en sont
responsables et la société
doit les soutenir et les aider dans l’exercice de cette responsabilité. Le respect de l’embryon participe de cette
protection
que la société doit aux plus
faibles de ses membres. Alors que les recherches sur les cellules souches adultes donnent déjà lieu à des
applications
thérapeutiques et que le prix
Nobel de médecine vient d’être attribué au Professeur Yamanaka et au Professeur Gurdon pour leurs travaux sur
la reprogrammation des cellules différenciées en
cellules pluripotentes,
certains voudraient autoriser
plus largement encore la recherche sur des cellules souches embryonnaires. De telles recherches restent
moralement
inacceptables et
économiquement hasardeuses.
3/ Tout enfant venu au monde a droit à connaître ceux qui l’ont engendré et à être élevé par eux, conformément à la Convention Internationale relative aux droits de l’enfant ratifiée par la France en 1990 (article 7 /1 : « L’enfant est enregistré aussitôt
sa naissance et a dès celle-ci le
droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et
d’être élevé par eux. »). Ce droit impose de ne pas légaliser les procréations anonymes qui rendent
cet
impératif impossible à tenir. Dans certaines situations
exceptionnelles des personnes peuvent, pour le bien de l’enfant, assumer
généreusement la responsabilité parentale. Elles ne peuvent jamais se substituer
totalement à l’homme et à la femme qui ont engendré l’enfant.
4/ Tout enfant a droit à être éduqué. Cette obligation repose
d’abord sur les parents qui sont les premiers responsables de l’éducation
de leurs
enfants. La société doit les
soutenir et les aider dans cette mission, aussi bien par les aides financières, qui reconnaissent leur apport pour
un meilleur avenir de l’ensemble de notre société, que
par des aides
pédagogiques qui sont souvent
très nécessaires.
L’obligation de l’éducation repose ensuite sur l’institution
scolaire qui a la charge de transmettre les savoirs nécessaires à
l’exercice de la
liberté personnelle, mais
aussi le devoir de développer chez les jeunes la reconnaissance et le développement d’un certain nombre de qualités morales sur lesquelles reposent le consensus social
et l’apprentissage de relations respectueuses et pacifiques entre les membres
du corps social.
Nommer le bien et le mal fait
partie de cette responsabilité collective.
5/ Les enfants ou les jeunes délinquants, quels que soient leur
statut juridique : français, étrangers, en situation régulière ou non, ne
doivent pas
être traités par la seule
incarcération. Dans une démarche éducative, la punition peut être nécessaire. Elle doit toujours avoir pour
objectif la
transformation positive de
celui qui l’a méritée. Elle ne doit pas éluder les responsabilités des adultes dans le déclenchement,
l’organisation ou
l’exploitation de la
délinquance : réseaux organisés de mendicité, institution du trafic de drogues, prostitution, pornographie
publique, etc.
Pour terminer, je voudrais évoquer un droit qui concerne
directement l’exercice de notre religion et qui, à ce titre, fait partie des éléments constitutifs de la laïcité, comme l’avait
très bien compris et
institutionnalisé J. Ferry. Il
s’agit du droit des enfants à recevoir une formation chrétienne librement choisie par leur famille comme le complément de leur formation scolaire. Il est trop
clair que nous ne sommes
plus dans la même situation
qu’à la fin du XIX° siècle. Mais puisque le ministre de l’Éducation Nationale veut entreprendre un réaménagement
de l’ensemble du temps scolaire et qu’il souhaite le
faire dans une pratique de la
concertation, il serait assez étrange que cette concertation exclue la consultation de l’Église qui catéchise plus du
quart des enfants de France. À ce
jour, nous suivons avec intérêt la liste des organisations consultées. Nous attendons toujours de savoir quand et comment nous
le serons.
Pour nous, cette question est primordiale puisqu’elle touche plus
particulièrement les enfants dont les familles ont le moins de possibilités concrètes d’organiser le temps libre de leurs
enfants. Ce sont ces enfants qui ont aussi souvent le plus de difficultés à trouver les chemins
d’une bonne
insertion sociale. Ils n’y
seront pas aidés si le temps de la catéchèse devient une sorte de créneau négligé dans l’organisation du
temps scolaire. Les
enfants catholiques, comme ceux des autres religions, ont le droit
de disposer d’un temps convenable pour cette formation.